Brigitte Laurent et Valérie Boyce

Exposition à la Villa Daumier – 17 septembre–15 octobre 2000

Cette fin de millénaire aura vu le rétablissement partiel de la femme dans ce qui aurait toujours dû être son droit : l’égalité avec l’homme. Longtemps écartée de la vie politique et seulement tolérée dans la vie intellectuelle, scientifique ou artistique, la femme entre en force dans des domaines pratiquement réservés jusque-là à son partenaire et néanmoins concurrent.

La municipalité de Valmondois soutient ce mouvement par sa constance à présenter des œuvres d’artistes féminins. Une nouvelle illustration en est donnée en ce mois de septembre. Après l’exposition Eli Samson, voici l’exposition Brigitte Laurent et Valérie Boyce.

La salle du bas est consacrée aux œuvres de Brigitte Laurent. Nous sommes ici dans l’univers de la souffrance humaine. Ces visages léonins de lépreux expriment la détresse mieux que n’importe quel haut-relief. Voyez le buste intitulé La trace : thorax sans bras comme s’ils étaient amputés ou attachés dans le dos ; dans sa simplicité même, le visage est celui du désespoir ; le cou est dégagé. L’ensemble évoque un condamné à mort en présence de la guillotine. L’homme sait que personne ne peut plus rien pour lui, ne veut plus rien pour lui. Il est seul, face à ses derniers instants. C’est le désespoir dans ce qu’il a de plus poignant. Toute l’angoisse du monde est exprimée dans ce corps sans bras, sans jambes et bientôt sans tête.

La Petite enfance, c’est E.T. ou mieux, le petit Africain affamé qui demande à manger et clame son malheur. Cette bouche ouverte, le seul relief de l’œuvre, qu’elle est expressive !

Et Coco la grimace ? N’a-t-on pas l’impression d’assister à sa naissance ? Il découvre le monde dans lequel il va devoir vivre, Coco la grimace. Et il a bien raison de grimacer, cet enfant vagissant victime de la thalidomide, c’est-à-dire de la science des hommes !

Dans cet univers de souffrance, la rédemption vient d’une petite fille accroupie qui joue avec sa poupée et proclame sans le savoir son futur désir de maternité, c’est-à-dire sa confiance en l’avenir.

Et puis, dans cette grisaille réussie, une trouée lumineuse où triomphe le jaune dans sa lutte avec le bleu, sorte de combat entre le ciel et la terre. C’est un tableau de Valérie Boyce qui annonce les œuvres exposées au premier étage.

Les paysages du Vexin tendrement humains y voisinent avec la nature violente, tourmentée et inhospitalière du Pays de Galles et de l’Islande.

Il n’y a dans ces paysages aucune tentative de figuration servile. Valérie Boyce suggère plus qu’elle ne montre. C’est comme un mélange subtil de rêve et d’éveil, comme si l’artiste s’abstrayait des paysages qu’elle a vus pour jeter sur la toile les impressions qu’elle en a retenues.

Vues par Valérie Boyce, voici nos contrées clémentes avec les arbres de la forêt de Stors qui fusent vers le ciel, en quête de lumière et explosent en bouquets dorés. Mais la douceur du climat n’exclut pas les orages. La nue va crever sur Verville. Le ciel bleu sombre écrase la forêt, qui semble se tapir sous la menace. Une vue des horizons boisés de Verville suggère une immensité qui se prolonge hors des limites du tableau.

Un grand absent dans toutes ces œuvres : l’être humain. Certes il est sous-entendu, partout présent en filigrane, mais invisible. Toute la place est donnée à une nature exubérante, amie de l’homme, qui rayonne de beauté et de couleurs.

A côté des doux paysages du Vexin, voici le Pays de Galles. Une avalanche d’énormes rochers, chaussée de géants, s’effondre dans la mer. C’est la Nature dans toute sa puissance. Une famille s’y est aventurée. La taille minuscule des personnages souligne la masse formidable des blocs de pierre, que le mouvement inlassable de la mer a sculptés.

Plus inquiétants encore sont les paysages de l’Islande. Le village vide d’habitants consiste en quelques maisons perdues dans l’étendue glacée. Les docks de Straumur sont abandonnés dans une atmosphère de fin du monde. La chapelle de Grindawick, seule dans l’immensité désertique, rappelle que cette contrée fut habitée. Les couleurs sombres accentuent l’impression de désolation absolue.

Le sentiment dominant est celui de l’angoisse dans un environnement hostile à l’homme. Ici, l’être humain ne peut venir sans défier la Nature. Ici, l’être humain n’est pas invisible, il est absent.

Une note optimiste : un diptyque s’ouvre comme une fenêtre sur une crique. Le ciel bleu et la mer bleue se rejoignent enfin, réconciliés.

Les deux artistes ont au moins un point commun : l’angoisse de l’Homme moderne dans ce siècle qui n’a pas tenu ses promesses, dans ce monde dont il semble que plus l’être humain en pénètre les secrets, moins il le connaît.

 

Marcel Mercier