Georges Huisman

Georges Huisman (1889-1957), historien de l'Art et administrateur français.

Lorsqu’il arrive à Valmondois en 1926, Georges Huisman est un universitaire qui commence à s’intéresser à la politique. Agrégé d’histoire, sorti major de l’Ecole Nationale des Chartes, il est l’auteur d’une thèse sur la Juridiction de la municipalité parisienne, de Saint-Louis à Charles VII, publiée par l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres. Il tient des conférences sur l’art, s’intéresse aux expositions artistiques, développe chez ses élèves le goût de l’art, écrit sur les monuments de Paris, travaille à un ouvrage sur le peintre flamand Memling, publie des Contes et légendes du moyen âge français. Tout semble le destiner à une carrière d’érudit et d’historien. En même temps, des voyages à but artistique effectués à l’étranger, en Italie notamment, lui révèlent un certain isolement de la France à une époque où l’Allemagne tente de se soustraire aux obligations du Traité de Versailles, ce qui conduit le gouvernement français à faire occuper la Ruhr par la troupe.
C’est là, semble-t-il, que s’amorce en Georges Huisman le besoin de ne pas rester inactif devant des événements dont il pressent les conséquences graves. En 1924, il devient chef de cabinet (aux PTT) du ministre du Commerce. De là, il ira au ministère des Travaux publics.
Il se trouve qu’à cette époque la famille de Georges Huisman s’enrichit d’un deuxième fils, d’où naît le besoin d’une habitation adaptée à la nouvelle situation. La maison recherchée, c’est à Valmondois qu’elle existe. Il l’acquiert en 1926. Elle est située à proximité du moulin Le Roy. On y accède de deux côtés : par la rue Verte, devenue depuis rue Georges Huisman, et par le chemin qui longe la voie ferrée Valmondois-Marines. Elle possède un verger retourné à l’état sauvage. Il y serpente un ruisseau. Quelques dépendances aussi, dont un bâtiment qui tient de la grange et de l’écurie.
Georges Huisman fait connaissance avec quelques Valmondoisiens : la famille Geoffroy-Dechaume, célèbre par ses peintres et ses sculpteurs ; Robert et Georgette Hoffmann, les instituteurs du village, la famille Duhamel, l’écrivain, qui a déjà rencontré Georges Huisman à l’Ecole alsacienne de Strasbourg.
Valmondois n’a pas d’éclairage public, ce qui constitue une gêne pour circuler le soir.  Georges Huisman s’en souviendra lorsqu’il sera maire.
Quant à la maison , elle manque de certains équipements : l’électricité, mais l’eau surtout. Pour y remédier et pour aménager le verger, Georges Huisman fait appel aux artisans, aux ouvriers, aux jardiniers du village. Or ceux-ci ont des enfants qui font connaissance et jouent avec Jean-Claude et Philippe. Je me souviens d’un anniversaire de Jean-Claude, auquel je fus convié et qui fut fêté dans le jardin.
Une sorte de paillote abritait de nombreux jouets : une armée de soldats de plomb, une carriole, des chariots, etc .Il y avait aussi un jeu d’adresse où il s’agissait de jeter des palets dans la bouche ouverte d’une grosse grenouille en métal.
Tout en jouant, avec cette faculté de dédoublement de l’attention propre aux enfants, je voyais deux adultes se promenant dans le parc, tendrement enlacés, un jeune couple ; deux personnes visiblement très éprises l’une et l’autre : Georges et Marcelle Huisman.
En dépit de ses nombreuses obligations professionnelles, Georges Huisman consacre beaucoup de temps à sa propriété. Il se laisse séduire par la vie de son village, ce qui le repose d’ailleurs de la vie quelque peu mondaine et trépidante de Paris.
Ses nouveaux amis l’intéressent à la vie de Valmondois. Le combattant qu’il a été comme aviateur se laisse élire Président de l’Association des Anciens Combattants. Robert Hoffmann, secrétaire de mairie comme la plupart des instituteurs de campagne, saisit l’opportunité d’une démission pour persuader Georges Huisman de devenir conseiller municipal.
C’est en 1930 que le destin frappe à la porte de Georges Huisman. Le Président du Sénat, Paul Doumer, cherche un remplaçant à son directeur de cabinet, démissionnaire. Il le souhaite universitaire (lui-même est titulaire d’une licence en mathématiques et d’une licence en droit). Georges Huisman accepte. Il a 41 ans. Cette fois, il va entrer dans la politique active, car Paul Doumer a l’intention de se présenter à la prochaine élection présidentielle et il a besoin d’un directeur de campagne jeune et dynamique.
Or l’adversaire de Paul Doumer est Aristide Briand, grand orateur qui jouit d’un immense prestige dû à son action en faveur de la paix. C’est Paul Doumer qui est élu (en 1931). Il fait aussitôt de son directeur de campagne le secrétaire général de la Présidence de la République.
Cette nouvelle et importante charge compromet la durée et la fréquence des séjours de Georges Huisman à Valmondois, car il reste professeur au Lycée Jeanson de Sailly et il deviendra bientôt Inspecteur de l’Académie de Paris.
Le Secrétaire général de la Présidence reçoit un double des dépêches diplomatiques du monde entier, en particulier celles de l’Ambassade de France à Berlin. Le Gouvernement français est ainsi informé du climat politique qui règne en Allemagne et notamment des menées du Parti national socialiste, lequel conteste la défaite de l’Allemagne et revendique la restitution de l’Alsace-Lorraine. Ces informations renforcent Georges Huisman dans sa conviction qu’il y a là une grave menace pour la paix et qu’un second conflit mondial est possible.
Le 6 mai 1932, le Président de la République Paul Doumer est assassiné. Son collaborateur immédiat Georges. Huisman en est bouleversé. Pendant ce temps à Valmondois, des malversations ont contraint le maire à démissionner. Georges Huisman est élu maire aux élections qui s’ensuivent en juin 1932.
Je me souviens de Monsieur Huisman, de son port de tête altier, de sa voix bien timbrée, de sa diction lente, de l’autorité qui émanait de sa personne sans qu’il y eût dans son comportement la moindre fierté. On le croisait dans les rues de Valmondois, chaussé de gros sabots et devisant simplement avec ses administrés. Le café situé en face de la mairie était le lieu de convivialité - comme on dit maintenant - où il rencontrait volontiers les Valmondoisiens.
C’est sous sa magistrature que l’éclairage public est réalisé. Les rues longtemps négligées au profit des chemins vicinaux sont goudronnées. Je revois la goudronneuse répandant sur la rue un liquide visqueux noirâtre qui, en raison de la forme bombée de la chaussée, faisait des coulées jusque dans les caniveaux. J’entends encore le bruit du moteur et le roulement sourd du lourd rouleau.
C’est aussi de la magistrature de G. Huisman que date l’installation, dans la salle du conseil, d’un grand sapin de Noël garni de guirlandes, d’oranges et de bougies qui faisaient rêver les enfants pauvres. Des jouets et des friandises leur étaient distribués.
A la fête communale, garçons et filles avaient droit à des tours gratuits de chevaux de bois. Des jeux (courses en sac entre autres) étaient organisés, ainsi qu’un bal qui leur était réservé.
Après l’assassinat de Paul Doumer, Georges Huisman redevient Directeur de cabinet du Président du Sénat. Puis, en 1934, il est nommé Directeur général des Beaux Arts (fonction équivalant à celle de l’actuel ministre de la Culture).Il succède, trois décennies plus tard, au sous-secrétaire d’Etat Dujardin- Baumetz qui, en 1908, avait présidé à Valmondois les cérémonies du centenaire de la naissance d’Honoré Daumier.
Le goût de Georges Huisman pour les arts le préparait à cette nouvelle haute fonction. Dans les années 1920, il avait participé à la rédaction de plusieurs ouvrages relatifs aux arts plastiques. Il avait consacré un livre au peintre flamand Memling.  Dans son enseignement, il initiait ses étudiants au goût du beau.
Partout il injecte du sang neuf. Délaissant un peu l’art académique, il protège des peintres contemporains contestés, tel que Picasso, Léger etc.
Il veille à la conservation et à la restauration du patrimoine (entre autres le château de Versailles). Il sauve certains châteaux en mauvais état d’entretien.
Il réorganise les théâtres subventionnés, abandonnés par leur public. Il sauve certains châteaux en mauvais état d’entretien.
Certaines ambassades indignes d’un Etat comme la France sont remplacées par de nouveaux bâtiments.
La musique n’est pas oubliée.
Le cinéma, alors peu ou mal considéré, est l’objet de tous ses soins. Il fonde le Festival de Cannes en 1939.
Pressentant depuis longtemps un nouveau conflit avec l’Allemagne Georges Huisman prépare l’évacuation et la protection des œuvres d’art. Le moment venu, elles seront opportunément mises à l’abri.
La défaite de la France mettra prématurément un terme à une action déjà féconde mais qui aurait pu l’être plus encore. La victoire Allemande l’oblige, avec la plupart des membres du gouvernement, à s’éloigner de Paris. Il va en Algérie puis rentre en France pour participer à la Résistance. Il échappe de justesse à la Gestapo. C’est à Vaison-la-Romaine que sa lutte contre l’envahisseur prend toute son ampleur.

Dès 1940, Georges Huisman est déchu de toutes ses responsabilités politiques par le gouvernement de Vichy. Alors survient le temps de l’ingratitude. Certains de ses obligés de Valmondois et de Paris crurent trop vite au caractère définitif du nouveau régime politique né de l’occupation nazie. Les circonstances exceptionnelles telles que les guerres, ont souvent pour effet de remuer et de faire remonter à la surface la boue qui repose au fond de certaines gens comme la lie au fond de certains liquides. La tempête passée, ces gens-là reprennent leur vraie place : en bas, tout en bas.

Avec la libération se termine le rôle du Délégué spécial nommé par Vichy, René Brochet.  Le Comité Départemental de la Libération (CDL) assure désormais la Présidence du conseil provisoire et réintègre Georges.Huisman avant même son retour, qui a lieu le 7 octobre 1944. Le nouveau conseil municipal est volontairement composé d’hommes et de femmes appartenant à toutes les tendances politiques, à l’exclusion de ceux qui se sont compromis avec Vichy.
Des élections ont lieu en 1945. Contre toute attente, la liste de Georges Huisman est battue.
Au plan national, il ne recouvre pas son poste de Directeur Général des Beaux Arts, qui a été supprimé. Il est nommé Conseiller d’Etat. Or il a 56 ans. Il réalise qu’il a désormais, « un bel avenir derrière lui », comme il le dit avec un humour non exempt d’amertume. Ultime satisfaction, ce Festival de Cannes qu’il a fondé en 1939, il en préside le jury.

Dès lors, G.Huisman s’éloigne de Valmondois. Il tente de se redonner une activité. Il tient des conférences, en France et à l’étranger. Il travaille à une bonne entente entre la France et l’URSS. Il milite dans des ligues antiracistes. Il reprend son histoire de l’art.

Mais il commence à ressentir les premières atteintes de l’artérite. Il faut l’amputer d’une jambe, puis de l’autre. Aux souffrances physiques s’ajoute la souffrance morale de se voir diminué.
Le 28 décembre 1957, la Mort étend sa main froidement aveugle sur Georges Huisman. Une vie consacrée au bien public, aux arts, à sa famille, aux autres, vient de prendre fin.

Comme il l’avait souhaité, on jouera à ses obsèques le sublime 2ème mouvement de la 7ème Symphonie de Ludwig van Beethoven, ce génie de l’ancienne Allemagne, nation de haute culture.

Texte rédigé par Marcel Mercier,  chroniqueur du village, auteur des Chroniques de Valmondois