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Le village
Denis Huisman
Professeur et philosophe
Né à Paris le 13 avril 1929, le philosophe Denis Huisman est mort, à son domicile parisien, le 2 février. Tous les lycéens de France et de Navarre, dans les années 1960-1970, connaissaient le nom de Denis Huisman. Le « Vergez-Huisman », publié pour la première fois en 1956 et maintes fois réédité, fut en effet, au cœur des « trente glorieuses », « le » manuel de philosophie des classes terminales – outil de base, partout utilisé, devenu indispensable, même s’il était parfois moqué ou mis en cause. Avec 5 millions d’exemplaires, qu’accompagnaient des ABC du bac et quantité d’outils de révision, ce n’était plus un manuel, c’était un fait de société.
Derrière cette extraordinaire réussite éditoriale, il n’y avait pas simplement deux enseignants aux talents pédagogiques efficaces. Le succès provenait de cette extraordinaire figure qu’était Denis Huisman, communicant de génie, à la fois universitaire et homme d’affaires, professeur de philosophie et de relations publiques, inclassable et atypique. Ses multiples initiatives ont marqué, à leur manière, la seconde moitié du siècle dernier.
Il y avait en lui quelque chose de la IIIe République, héritage culturel de son père, Georges Huisman (1889-1957), qui avait été, dans les années 1930, secrétaire général de l’Elysée, avant d’être directeur général des Beaux-Arts et de contribuer, en 1939, à la création du Festival de Cannes. Ces hautes fonctions avaient valu au tout jeune Denis Huisman d’embarquer, en juin 1940, à 11 ans, à bord duMassilia, avec Jean Zay, Edouard Daladier, Georges Mandel et Pierre Mendès France…
Créateur de l’EFAP
Le jeune homme, après-guerre, se découvre un vrai talent d’enseignant. Il n’est pas élitiste, mais plutôt soucieux de faire réussir tous ses élèves, en leur donnant des recettes pratiques qui fonctionnent. En quelques années, il multiplie les cours et les prestations, crée bientôt des « boîtes à bac » qui se révèlent lucratives, tout en travaillant comme attaché de recherche au CNRS. Il travaille en particulier sur des questions d’esthétique, et publiera en 1961 un « Que sais-je ? » consacré à cette discipline.
Au fil des ans, les relations publiques et le goût des affaires l’emporteront, dans la vie de Denis Huisman, sur la recherche universitaire et l’austérité des analyses philosophiques. Il crée en 1961 l’Ecole française des attachés de presse, qui, en 2011, a fêté son cinquantenaire en privatisant l’Olympia. Car il était aussi homme de faste et de fête, doté d’un fiévreux appétit de la vie, au prix, parfois, de quelque démesure. Il créa plusieurs autres écoles, consacrées aux carrières artistiques et journalistiques, constitua un groupe, fonda des filiales en France, essaima à New York, Tokyo, Lisbonne ou Abidjan…
Parallèlement, il n’oubliait pas d’être directeur de collection chez plusieurs éditeurs (Bordas, Nathan, Hachette, entre autres), maître d’œuvre de quantité d’anthologies, de morceaux choisis et de plusieurs encyclopédies, organisateur d’émissions de télévision, administrateur d’une série d’institutions culturelles, tout en assurant des cours en France comme à l’étranger… Homme-orchestre, il savait mener de front des activités généralement incompatibles, avec un fabuleux mélange d’inconscience et de générosité qui faisait de lui une figure que Balzac aurait tant aimée.
Grand gourmet, grand séducteur, grand roué, grand naïf, il semblait tantôt en avance sur son temps et tantôt suranné, toujours en décalage. Gagnant et dépensant beaucoup, semblant toujours assoiffé de titres et de reconnaissance, il se révélait aussi, dans ses manières d’être avec ses proches, d’une tendresse et d’une délicatesse extrêmes.
De tous ses titres honorifiques, et de tous ses titres de livres, sans doute est-ce le Dictionnaire des philosophes qui restera le plus durablement attaché à son nom. Cette monumentale œuvre collective, publiée sous sa direction aux Presses universitaires de France en 1984, plusieurs fois remaniée et rééditée, recense et présente des centaines de penseurs de toutes les époques et de toutes les cultures. Cette somme s’est imposée, de manière durable, comme un outil de travail indispensable. Quoi qu’en disent des esprits chagrins, le flamboyant M. Huisman aura bien servi la philosophie.
Denis Huisman est inhumé au cimetière de Valmondois.
Le monde 8 fev 2021
Article de Roger-Pol Droit paru dans Le Monde le 08/02/2021
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