A propos d'un automate

Il semble que, dès l’Antiquité, l’être humain ait eu la tentation de créer des formes animées. Y avait-il déjà là une sorte de défi inconscient aux auteurs de l’univers, une tentative d’empiètement sur les prérogatives du Créateur ?
On parle, vers l’an 400 avant Jésus-Christ, d’une colombe volante. Au Moyen-Age, en Allemagne, un androïde (automate à figure humaine) aurait été fabriqué, puis un aigle et même une mouche.
L’existence de ces machines est plus que douteuse et il faut arriver au XVIIIè siècle et à Vaucanson pour trouver d’authentiques automates : un joueur de flûte et surtout un canard qui battait des ailes, nageait, barbotait et mangeait. Malheureusement on n’a pas conservé ces chefs-d’œuvre de mécanique. Ces créations d’abord plutôt ludiques amenèrent leurs auteurs à des créations utilitaires, c’est-à-dire à la mécanisation de l’industrie de la soie et aux premières machines-outils, dont on connaît le développement ultérieur.
Le désir d’imiter, pour le plaisir, des êtres naturellement doués de mouvement est resté dans le cœur de l’homme car il correspond au goût du merveilleux, de l’extraordinaire, du magique qui subsiste en chacun de nous depuis l’enfance.
C’est ainsi qu’on trouve à Valmondois un sculpteur d’automates, Jacques Monestier, auteur de nombreuses œuvres, dont un cheval trotteur grandeur nature, qui a exécuté à Valmondois son premier trot devant une assistance médusée, saisie d’émerveillement comme à chaque fois qu’une œuvre imite si fidèlement la Nature qu’on éprouve l’illusion de la réalité.
On imagine la somme d’observations, de réflexions, de conceptions, puis de réalisations qu’a nécessitée une telle œuvre. Il a fallu que le sculpteur analyse les diverses phases du trot, les mouvements de chacun des membres de l’animal et leur synchronisation entre eux et avec l’encolure et la queue ; qu’il les décompose en leurs déplacements élémentaires et les resitue dans l’ensemble pour arriver à la course du cheval au point de donner le change au spectateur ébahi. Car il fallait non seulement conférer le mouvement à chaque membre, ce qui pourrait paraître relativement facile, mais encore qu’antérieures et postérieures arrivent au bon moment, selon le rythme voulu par la Nature pour que l’animal conserve son équilibre en se mouvant et que le tout s’exécute harmonieusement, sans à-coups.
Puis il a fallu que les câbles, les poulies et les bielles soient logés et invisibles dans le corps de l’automate, comme les nerfs, les tendons et les muscles sont logés dans le corps vivant. L’illusion est totale et chaque spectateur redevient, l’espace d’un moment, le petit enfant qu’il était lorsqu’il regardait un poulain trotter dans un pré.

Mais justement, il y a à Valmondois, un restaurateur, M. Labau, fervent admirateur d’Honoré Daumier, dont l’établissement porte le nom de Ratapoil et qui a voulu redonner un semblant de vie au célèbre caricaturiste. Ainsi est né le projet de fabriquer un automate capable de dessiner. Le concours de trois arts ou techniques était nécessaire à la réalisation de cet ambitieux projet. Il fallait, en effet, que l’automate ressemble à Daumier et donc faire appel à un sculpteur. Il fallait encore faire mouvoir les bras et la tête ; là c’était la spécialité de Jacques Monestier.
Enfin, les mouvements de la main qui dessine devaient être programmés et dirigés au millimètre près, ce qui est du domaine de l’informatique. Pour ces raisons Jacques Monestier a eu recours aux services de l’atelier d’informatique Laumonier de Nesles-la-Vallée et au talent artistique d’un sculpteur, M. Daniel Bruet. La mise en œuvre de ces trois savoirs aboutit à cet extraordinaire Daumier, assis à une table de restaurant. Daumier est vêtu d’une ample blouse noire ; il porte un foulard noué autour du cou. C’est la tenue vestimentaire de Daumier sur la photographie qui le représente sur le toit de son atelier à Paris, 9 quai d’Anjou. Il a le visage mâle d’un homme dans la force de l’âge ; sa chevelure est abondante et blanche ; un collier de barbe entoure son visage. Les dessins qu’il exécute sont tirés de ses œuvres mais aussi de celles d’Albrecht Dürer et de Léonard de Vinci. Une fois le dessin achevé, sa main droite repose le crayon ; ensuite il redresse la tête, puis s’immobilise.
Un examen attentif de la partie sculptée révèle tout le réalisme de l’automate : le grain de la peau, les ridules de la main et la base du pouce sont d’une réalité saisissante. La conception de cet automate a duré un an. Il est étonnant de vérité ! Daumier est ressuscité enfin presque.

 

Marcel Mercier