"Peut-on faire un paysage en 2002 ?" par Marcel Mercier

Exposition à la Villa Daumier 29 septembre – 27 octobre 2002

La question posée peut étonner. On est tenté d’y répondre avec un haussement d’épaules, « Bien sûr ! Et pourquoi pas ? », à moins qu’il ne faille comprendre « peut-on encore faire »Alors la question prend tout son sens et, paraphrasant La Bruyère, on pourrait la prolonger par : « Tout est peint et l’on vient trop tard, depuis sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui peignent ».

L’exposition essaie de répondre à la question-titre et, dès le rez-de-chaussée de la Villa Daumier, on découvre un large échantillonnage des manières actuelles de représenter un paysage.

Et tout d’abord un paysage nouveau, particulier à notre époque : un coin de Méditerranée souillé par les hommes. Il s’agit pas d’une peinture, mais d’un ouvrage de maçonnerie : un bac rempli d’eau polluée, bordé d’une plaque sur laquelle des galets figurent une plage.

Immédiatement à côté, deux pastels aux couleurs tendres et comme apaisées de l’automne. Un amoncellement chaotique de rochers semble se prolonger au-delà des limites du cadre. La douceur du trait n’ôte rien à la vigueur du relief.

Suit une série de petites aquarelles représentant des paysages aperçus à travers les arbres sombres qui les encadrent et avivent la lumière.

Tout près de là, une sorte de haut-relief : des arbres au feuillage abondant surmontés de cumulus menaçants.

Et voici un champ en cours de labour, qui aligne des sillons fuyant vers l’horizon où ils semblent se rejoindre. Il est tard, la nuit tombe. L’agriculteur veut achever son travail avant de dételer. Et puis, triste apanage des temps modernes : visiblement une usine dévastée par le souffle d’une explosion. Réminiscence d’une catastrophe récente ?

Dans l’escalier qui conduit au premier étage, encore un paysage industriel, mais peint : une centrale électrique qui domine les alentours, comme autrefois les cathédrales dominaient les maisons. L’ensemble est géométrique.

L’étage supérieur accueille les visiteurs par une série de miniatures réalisées conformément à la technique habituelle de l’auteur : sur fonds d’archives juridiques. Quelques bris d’herbes complètent la nature agreste de l’œuvre. Dans la salle voisine, nouvelle diversité. En face de l’entrée, sur le mur du fond, deux tableaux agressent le regard par leurs blancs crus qui laissent libre cours à l’imagination. Puis des marines sombres où la mer démontée, dangereuse, suggère une tempête nocturne.

Plus loin, deux hangars abritent des sacs : pulvérulents, noirs, mystérieux, peut-être des farines interdites ? La salle suivante ne présente pas moins de diversité dans la conception, de la plus classique à la plus ambiguë : des champs après le coucher du soleil. C’est une vue reposante.

Puis, à côté, des œuvres singulières, dont un paysage insolite, qu’on pourrait qualifier de « lunaire » au sens propre comme au sens figuré, sorte de désert où l’on reconnaît deux monts chauves, un petit cratère puis une longue vallée aux bords turgescents débouchant sur un bosquet. Paysage ou anatomie ?

Les œuvres exposées dans la dernière salle montrent également beaucoup de variété. Et tout d’abord la nature sauvage de l’Islande, inhospitalière, hostile aux humains par ses étendues glacées, où règnent le silence et le froid. Les couleurs bleues accentuent encore le caractère grandiose, imposant, menaçant du paysage. Et puis voici des salines. Savant agencement de petits traits noirs, verticaux ou horizontaux sur fond blanc. Cela suggère les efflorescences du sel marin. Allez savoir pourquoi !

La réponse à la question posée est donc positive : « Eh bien oui ! On peut faire un paysage et ce de multiples façons, en se servant de techniques et de conceptions diverses ». L’exposition réalisée à la Villa Daumier en administre la preuve.

Marcel Mercier