Le cheval dans le Vexin dans les années 1930

Il existait autrefois un animal essentiel, un animal qui tenait une place à part dans notre vie et qu’on rencontrait partout, à la ville comme à la campagne. Il était, autant que le chien, le familier de l’homme : c’était son serviteur et son compagnon à la guerre aussi bien qu’aux champs. Cet animal qu’on ne voit plus guère que sur les hippodromes pour parier sur ses victoires, c’est le cheval.

A une époque où le moteur à explosion balbutiait encore, où la voiture à vapeur de Cugnot s’avérait d’une utilisation malaisée, le cheval était, avec le bœuf, le seul mode de traction. Mais il avait sur le bœuf l’avantage de la rapidité et son travail ne se limitait pas à l’agriculture.

Grâce à la diversité des races, le cheval servait dans les champs mais aussi dans les transports, attelés ou non.
Dans une région de grande agriculture comme le Vexin, on trouvait de nombreux chevaux de trait. C’étaient surtout des Boulonnais, des Percherons de grande taille, au poitrail large.

Le travail de la terre

En automne, on pouvait les voir labourer la plaine. Les muscles de leurs épaules se contractaient en une énorme boule, leurs cuisses étaient tendues à se rompre. Il ne fallait pas moins de deux chevaux attelés en ligne ou côte à côte pour labourer. Derrière, le paysan guidait le brabant, dont le soc luisant ouvrait le sol et faisait retomber les mottes sur le côté. Les chevaux peinaient. Leurs efforts étaient ponctués de coups de tête à droite, de coups de tête à gauche. Ils transpiraient. Un vol de corbeaux suivait l’attelage à distance. Arrivé à l’extrémité du sillon, le cultivateur retournait le soc puis les chevaux reprenaient leur marche en sens inverse.
Après le labour, la surface du champ était morcelée en mottes plus ou moins volumineuses, séparées par des vides importants. Il était alors indispensable d’écraser la terre. C’était le rôle du rouleau qui, agissant par son poids, brisait les mottes. Mais tel quel, le sol était encore impropre à la culture. Il devait être émietté, ameubli. On utilisait à cet effet une herse, c’est-à-dire, un châssis souvent triangulaire muni de rangées de dents métalliques qui, traîné par le cheval, achevait le travail commencé par le rouleau.

La moisson

Fin juillet ! Les blés arrivaient à maturité. Il était temps de couper et de rentrer les épis avant un toujours possible changement de temps qui aurait pu retarder la moisson. Aussi les journées de travail étaient-elles longues : elles se prolongeaient jusqu’à 10 heures du soir et plus, car il fallait profiter du temps sec. Les épis étaient disposés en dizeaux (1) qui restaient quelques jours sur place pour achever le séchage.

Ils étaient ensuite ramassés, chargés sur les charrettes en tas qui atteignaient des hauteurs justifiant les immenses portes cochères que l’on peut encore voir à l’entrée des anciennes fermes.
Quand le hangar était plein et que l’on ne pouvait donc plus rien y mettre à l’abri, les dizeaux restés sur place étaient disposés en meules.

Vers le mois de novembre on battait, c’est-à-dire, que l’on séparait les grains de la paille. Puis il fallait faire moudre les grains de blé mis à sacs. Des charrettes lourdement chargées, tirées par trois ou quatre robustes chevaux étaient alors conduites au moulin. Entre temps, il avait fallu rentrer le foin. La paille servait d’aliment ou de litière, puis de fumier.

Le halage

Au début du XXè siècle, les chalands n’étaient pas motorisés et l’utilisation d’un remorqueur pas encore généralisée. Les bateaux étaient tractés depuis la berge par des attelages conduits par des charretiers. A cet effet, il existait des chemins dits de halage, c’est-à-dire des espaces que les riverains des voies navigables étaient tenus de laisser libres pour le passage des hommes et des chevaux. Les péniches étaient halées à l’aide de câbles.

Transports divers

Les forêts fournissaient du bois coupé et donc des grumes à transporter. La pierre de taille existait en abondance. On extrayait des carrières d’énormes blocs qu’il fallait sortir des lieux d’extraction. Cela exigeait jusqu’à six puissants chevaux capables de mettre en marche et de maintenir en mouvement des masses importantes de pierre. On utilisait des Boulonnais ou des Percherons pesant jusqu’à 900 kg. Le plus solide supportait la charge des brancards : c’était le limonier.

Il fallait une grande habitude aux charretiers et beaucoup de docilité aux chevaux pour faire prendre les virages de la route à ces convois de grande longueur.

(1) Dizeau, mot disparu des dictionnaires contemporains et dont voici la définition selon Bescherelle : « Nom donné dans plusieurs lieux à des tas de gerbes qui attendent dans le champ le moment d’être enlevés. Anciennement, la loi exigeait, en raison de la dîme, que ces tas ne fussent que de dix gerbes, de là leur nom ».

La chasse à courre

Mais le cheval n’était pas seulement utilisé aux divers travaux des champs. Une classe privilégiée se servait de lui pour son plaisir : la chasse à courre. Or on trouve en Seine-et-Oise de belles forêts, dont celles de Carnelle et de l’Isle-Adam proches l’une de l’autre, qui enserrent le village de Presles. Le prince Murat y organisait ses chasses. Les équipages ne pouvaient se passer de chevaux de selle.
Le charretier

Le charretier était le compagnon et presque l’ami du cheval. Il travaillait avec lui, marchait près de lui, le tenait par la bride, le stimulait par les claquements d’un fouet qu’il portait ordinairement autour de son cou. Il frappait rarement l’animal.
On voyait aussi le charretier debout dans le tombereau vide. L’air retentissait de ses « hue ! », de ses « dia ! », de ses « ho ! ».
En général, il dormait dans l’écurie. Un bon charretier vivait avec son cheval.
C’était un homme rude que le travail et les intempéries n’effrayaient pas.

Les abreuvoirs

Le besoin d’abreuver les animaux rendait nécessaire la présence de mares et d’abreuvoirs dans les villages. Les bêtes n’étaient pas seules assoiffées : les charretiers aussi ; mais ils allaient plutôt se désaltérer dans les nombreux estaminets. On y buvait surtout, voire exclusivement, des « canons », c’est-à-dire des verres de vin.
L’antre de Vulcain

La forge du maréchal-ferrant nous attirait, nous, les garçons. Il y régnait une chaleur d’enfer. Deux hommes oeuvraient dans cette fournaise. L’un deux aux bras musculeux tenait à l’aide d’une énorme pince un fer à cheval qu’il maintenait sur l’enclume, tandis que, de l’autre main, il frappait des coups redoublés de marteau sur l’acier incandescent.
Pendant ce temps, son compagnon actionnait un gros soufflet bardé de clous de cuivre à tête ronde, qui attisait les braises. Du métal martelé jaillissaient des gerbes d’étincelles qui partaient dans toutes les directions.
Le maréchal-ferrant façonnait ainsi le fer à cheval et l’ajustait à la largeur du sabot. Quand la bonne pointure était obtenue, il fallait ferrer. Au préalable, la bête devait plier la jambe. Le compagnon l’empoignait et la posait sur sa cuisse après l’avoir engagée dans une large sangle qu’il portait autour du cou.
Le contact du sabot avec le métal porté au rouge dégageait une forte odeur de corne brûlée. Le maréchal fixait le fer à l’aide de longs clous qu’il enfonçait à coups de marteau. Quelques passages de la râpe sur la corne et le travail était terminé. Le compagnon libérait le pied du cheval et l’on recommençait avec une autre jambe.
Nous nous demandions ce qui se serait passé si une maladresse avait brûlé le pied du cheval ou si un clou était entré dans sa chair. Une furieuse ruade aurait pulvérisé le maladroit.

Les fêtes

A une époque où les salles de cinéma étaient rares et la télévision inexistante, les distractions étaient généralement collectives et populaires. Des fêtes aujourd’hui quasi disparues comme la Mi-Carême, donnaient lieu à des cavalcades avec chars fleuris sur lesquels des enfants et des jeunes gens déguisés prenaient place. A la peine tous les jours, les chevaux étaient attelés aux chars. On les enrubannait pour la circonstance.

Du bon usage du crottin

Les allées et venues des attelages ne se faisaient pas sans laisser sur la chaussée des traces fumantes, sur lesquelles des moineaux effrontés s’abattaient immédiatement dans l’espoir d’y trouver des graines non digérées. Mais leur repas était souvent interrompu par des ménagères « à la main verte », munies d’une pelle et d’une balayette, en quête d’un engrais (écologique avant la lettre) pour leurs plantes d’ornement. Ces scènes autrefois familières sont difficilement imaginables aujourd’hui, où l’amour propre des dames refuserait ces humbles gestes alors coutumiers.

La mort du petit cheval

Voilà quelques-unes des activités du cheval, cet auxiliaire indispensable aux activités de l’homme autrefois. Une chose n’a pas changé : jadis comme maintenant, l’être humain lui témoignait sa reconnaissance en l’envoyant généralement finir ses jours à l’abattoir.
De nos jours, lorsqu’on parle de chevaux, c’est de chevaux-vapeur, de chevaux fiscaux ou de chevaux de course qu’il s’agit. Autrefois, il s’agissait d’un animal qui tenait une place essentielle dans la vie. C’était la plus noble conquête de l’homme. C’est à ce titre qu’il mérite un article : à la gloire du cheval !

 

Marcel Mercier