La Vie Illustrée de Daumier

Exposition à la Villa Daumier – 16 décembre 2001-13 janvier 2002

Le titre est alléchant : va-t-on voir une autre version de l’arroseur arrosé et le maître caricaturé à son tour ? Porté par cette idée, on entre dans la Villa Daumier.
La première salle présente quelques œuvres de facture plutôt classique qui constituent un appel au retour de Daumier pour fustiger les hommes politiques d’aujourd’hui. Bonne introduction pour cette exposition !

Les autres œuvres ont de quoi étonner, en particulier celle qui représente, paraît-il, une ancienne rosière de Valmondois. On comprend que la fille, vu son visage, ait mérité cette distinction ; mais quel rapport avec le sujet ?

Ailleurs, c’est André François qui expose. Sa contribution se rapporte à l’œuvre plutôt qu’à la vie de Daumier. On s’amuse d’une tête de haridelle découpée dans une planche brute ; un simple trou figure l’œil ; des feuillards servent de bride ; un élément de grille en fer forgé en forme de lance fait office d’oreille : Rossinante. C’est réalisé avec une grande économie de moyens et pourtant saisissant de vérité. Du même artiste, un tableau également sobre : Don Quichotte, lance basse, pique des deux sur des moulins dont les ailes sont des valves de moules disposées en corolles. Toujours d’André François, un cheval portant un cavalier inerte, affalé sur lui, succombe et s’affaisse sous l’attaque de plusieurs vautours aux becs ouverts. Les becs ? des pinces de crabes ! Une jambe de cheval taillée dans une branche, roide comme un pilon, crève le tableau. Cette insolite Rossinante blessée est sans doute l’œuvre la plus extraordinaire de l’exposition. Mais le lien avec elle est des plus ténus.

Le premier étage n’est pas moins hétéroclite. On y voit notamment trois femmes nues membrues, allongées : réminiscence des Trois femmes nues couchées de Daumier ?

Il faut attendre la salle voisine, qui se trouve être la salle centrale, pour rencontrer le cœur de l’exposition : la vie illustrée de Daumier et illustrée par Michel Charpentier lui-même. La chronologie y est bousculée, mais faut-il s’en plaindre ? Il ne s’agit pas d’une bande dessinée. L’histoire commence par l’initiation de Daumier au dessin avant même d’être né. Quel symbole ! La mort de madame Daumier précède le licenciement par le Charivari. L’incarcération pour crime de lèse-majesté pousse Michel Charpentier à représenter les codétenus de Daumier à la Santé. Parmi eux, une démente qui se retrousse jusqu’au nombril alors qu’elle est nue sous sa chemise. Ailleurs, des femmes figurant la Vérité, c’est-à-dire nues, donnent une fois encore l’occasion de reconnaître la modernité de Charpentier par l’importance qu’il accorde au sexe dans sa conception de l’art. Le sexe masculin n’est pas absent : Richard Wagner pris pour Daumier ne pouvait être représenté sans un sexe, un sexe qui a d’ailleurs perdu de sa superbe. La mort du grand peintre avait sa place dans cette pseudo-biographie en images, puisqu’elle en est l’acte final. On voit Daumier sur son lit de mort, entouré de ses amis et de sa femme (morte quelques tableaux auparavant). Présent aussi : un chat famélique dressé sur ses pattes arrière, qui approche sa tête de celle du défunt. Le petit animal peint sans débauche de moyens paraît vivant, tant son attitude est vraie, bien vue.
Charpentier s’est montré en tout égal à lui-même. Le visage de son Daumier est souvent dessiné de profil comme les personnages des hiéroglyphes. Il est ainsi immédiatement reconnaissable grâce à son nez retroussé. Michel Charpentier suggère plus qu’il ne représente. Son caractère primesautier se donne libre cours. Il n’a pas résisté à l’envie de proposer quelques rébus, de se livrer à quelques astuces : Quoi 2 9 ? ou ce Fil o z œuf. Mélange de crudité, d’enfantillages et d’un goût certain pour la provocation. L’artiste a épousé son temps.
Un symbolisme subtil, diffus, règne sur l’exposition : Daumier métamorphosé en centaure, la Vérité devenue sphinx, Don Quichotte omniprésent comme s’il incarnait la vanité du combat contre les Puissants, combat souvent perdu, toujours recommencé. Mais la vie de Daumier, n’est-ce pas cela aussi ?

 

Marcel Mercier