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Le village
La fête communale dans les années 1930
Juin ! Les beaux jours sont revenus. L’année scolaire s’achève en juillet. Le certificat d’études primaires, tout proche, sera la première épreuve dans la vie des enfants de douze ans.
Mais le mois de juin ramène aussi avec lui d’autres événements : la communion solennelle pour les familles catholiques et surtout, pour tout le monde, la fête communale.
D’ailleurs, les forains arrivent déjà un par un sur la place de la Mairie, qui est contiguë à la cour de l’école. A la récréation, les garçons regardent, par l’espace compris entre le muret et les tôles de la grille, les camions et les remorques qui prennent possession de leur emplacement. Les grands, les plus costauds, s’emparent des meilleures places pour voir le manège en train de se monter.
A la sortie, le soir, les écoliers s’attardent et regardent les ouvriers travailler. Certains reçoivent la faveur appréciée de « donner un coup de main ».
Enfin, le grand jour est arrivé !
Les enfants ont un peu d’argent de poche, plus ou moins selon les familles. Il est constitué de « prêts » des parents et des grands-parents, et aussi, pour les enfants de chœur, des dons reçus à l’occasion de cérémonies religieuses, baptêmes, mariages, voire enterrements. Ce petit capital est vite épuisé. Heureusement la municipalité offre à chacun quelques tours de chevaux de bois. Car ce ne sont pas les tentations qui manquent !
Il y a les balançoires en forme de petits bateaux à deux places opposées, accrochées par des tringles à une barre transversale. "Il est interdit de pousser !". A la fin de la partie, le forain actionne un levier qui soulève une planche, laquelle frotte la quille du bateau qui arrête alors progressivement son mouvement pendulaire.
Et puis il y a les baraques de confiseries, dont l’étalage regorge de sucreries : nougats, petits cochons en pain d’épice, sucres d’orge, bananes en pâte de fruits etc. Plus loin, c’est le stand de tir à la carabine, où les plus grands d’entre nous se donnent l’illusion d’être Buffalo Bill. Le fond métallique retentit de l’impact des plombs. A côté, c’est la loterie avec sa grande roue verticale qui n’en finit pas de tourner quand le forain, d’une main, l’a lancée dans son mouvement circulaire ; elle ralentit ; elle va stopper sur le numéro joué ; elle s’arrête : on a gagné. Hélas ! dans un ultime sursaut, la roue a encore tourné d’un cran et s’est immobilisée sur le numéro suivant. C’est raté !
Dans un petit bac à sable coincé entre deux baraques, un forain a enfoui de menus objets, généralement des bijoux de pacotille ou de minuscules jouets accrochés au bout du fil d’une canne à pêche. « Payez ! choisissez votre gaule et pêchez ! A tous les coups l’on gagne ». La pêche est surtout décevante, mais il y a le plaisir de la surprise.
La principale attraction reste le manège avec ses chevaux fixes ou galopeurs , ses cochons, sa toupie. Il est richement décoré. Il brille de tous ses cuivres. L’orgue de Barbarie déplie et replie ses bandes perforées et diffuse une musique fortement rythmée par des cymbales, tandis que deux automates habillés en pages battent la mesure.
« Tournez, tournez, bons chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours,
Tournez souvent et tournez toujours,
Tournez, tournez au son des hautbois »
(Paul Verlaine)
Les jeux ne s’arrêtent pas là : courses à pied, courses en sac occupent les garçons et offrent aux vainqueurs un instant de gloire et des récompenses.
A ces distractions s’ajoutent des jeux moins sages. On vend à la fête foraine des balles de tissu remplies de sciure et attachées à l’extrémité d’un long élastique. Le jeu, tout au moins pour celui qui tient la balle, consiste à poursuivre les filles et à leur projeter la balle dans le dos. Celle-ci revient dans la main de l’artilleur et il recommence. Les filles s’enfuient en criant et c’est ça qui est rigolo ! Mais parfois aussi elles font face, car certaines de nos copines sont « drues » : gare à l’agresseur !
Il y a des rencontres plus amicales, voire plus tendres. En effet, la municipalité organise un bal pour les enfants dans la grande salle de la mairie. L’orchestre comprend un saxophoniste et un batteur. Au son de la musique, des couples se forment. Parmi eux, des garçons et des filles déjà unis par d’innocentes amourettes, dont certaines défieront le temps pour déboucher quelques années plus tard sur un mariage
Quant aux adultes, on ne les a pas oubliés : concours de manille, concert, bal de nuit et matinée dansante, concours de tir. Pour les bals, "une bonne tenue est exigée".
Et puis il y a le mât de cocagne, planté au fond de la place. Un cerceau est accroché horizontalement au sommet. Y sont attachés des saucissons et des jambons, de bonnes bouteilles etc. Le grimpeur assez leste se hisse là-haut et décroche sa récompense. Mais on a enduit le mât de savon noir. Des hommes, des adolescents, les mains et les poches pleines de sable prennent le mât à bras le corps et tentent l’ascension. Beaucoup renoncent en cours de route. Le champion est toujours Fernand G., dit Edouard.
Ce soir, un feu d’artifice sera tiré dans les prairies qui bordent l’avenue de la gare. Puis les adultes danseront sur la chaussée devant la mairie, tandis que nous, les enfants, nous dormirons et que les flonflons berceront nos rêves.
Demain lundi sera encore jour de fête. Et il y aura le « rebond » le dimanche suivant.
Marcel Mercier