Honni soit qui mal y pense - Michel Charpentier par Marcel Mercier

Exposition à la Villa Daumier 27 février - 26 mars 2000

Honni soit qui mal y pense

C’est un acte audacieux de la part de la commune de Valmondois que d’avoir accueilli à la Villa Daumier quelques-unes des œuvres de Michel Charpentier. Car il fallait de l’audace pour braver les tabous et montrer des œuvres dont certaines représentent le corps humain dans les attitudes les plus humbles ou les plus osées, celles dont on ne parle pas entre gens de bonne compagnie.
Mais je vois déjà des visages sourcilleux qu’il faut tout de suite tranquilliser. Michel Charpentier n’est pas immoral quand il crée sans égards aux réactions des gens bien, il est plutôt amoral.

Au fait de quoi s’agit-il ? Il s’agit de ce que la bienséance interdit d’évoquer, c’est-à-dire de ces parties du corps humain que l’on peut feindre d’ignorer mais dont Michel Eyquem, seigneur de Montaigne disait : « Au plus élevé trône du monde, nous ne sommes assis que sur notre  ». Allons bon ! voilà que, en dépit du préambule, je n’écris pas le mot utilisé par Montaigne ! Eh bien oui : ce mot qui désigne le fond d’une casserole ou d’une bouteille devient grossier, dès lors qu’on l’applique à la même partie du corps humain.

Ai-je usé d’assez de circonlocutions ou, plus à propos, ai-je assez « tourné autour du pot », pour que l’on voie de quoi je parle, le mot suggéré s’employant ici dans un sens extensif plus encore qu’au sens propre.
Cette partie innommable de l’être humain occupe une place essentielle dans les tableaux exposés.
Il semble que Michel Charpentier ait présenté ses œuvres avec une sorte de gradation qui ménage les effets. Au rez-de-chaussée de son exposition, il montre un paysage du Vexin où l’on voit un gros nuage noir crevant sur la plaine. C’est sobre, c’est vrai.

Non loin de ce hors-d’œuvre réussi, on découvre un régiment de statuettes dont les premières sont anodines. Mais au fond et comme à l’improviste, alors que l’on ne s’y attend pas : un monsieur qui, en toute simplicité et presque en toute innocence, vous montre son derrière et même son gros derrière. Elle porte un nom cette statuette. Je vous en laisse la surprise. On « encaisse » et on gravit l’escalier qui mène à l’étage.

Encore éberlué de cette rencontre, le visiteur aperçoit maintenant des anatomies incontestablement féminines. Le dessin de l’artiste se fait précis, certes pas aussi précis que celui de Courbet dans son Origine du monde, mais tout de même il y a là plus qu’une suggestion. Les corps sont représentés dans des poses alanguies, lascives, offertes.

Et puis il y a des couples. Les corps sont incomplets, mêlés comme dans les combats de catch, mais on ne se trompe pas sur la nature de leur occupation. L’artiste ne peut aller plus loin : par degrés, il nous a amenés au point ultime, là où il voulait nous conduire, me semble-t-il ?

Ensuite, il change de registre : chien brutalisé par son maître, chien renifleur se trompant de congénère et flairant un aveugle. Quelques traits suffisent pour suggérer les êtres, leurs attitudes, leurs comportements.

Il y a aussi une religieuse : ses mains sont agrippées sur le bas de sa robe relevée. Résiste-t-elle au vent coquin ou se retrousse-t-elle ? A côté, c’est un musicien accroché à son énorme trombone comme un nageur en perdition à sa bouée de sauvetage, tandis qu’un autre souffle dans son instrument à s’en faire éclater les joues.

Avec Michel Charpentier, l’art figuratif n’a pas dit son dernier mot.

Marcel Mercier