Histoire de l'école publique de Valmondois

Le centenaire de l'Ecole Robert Hoffmann raconté par M. Marcel Mercier

L'école en France
Aux anciens copains, à Denise

L’école publique, laïque et obligatoire, qui nous parait aller de soi aujourd’hui, est en réalité une conquête relativement récente. Pendant des siècles, le maintien dans l’ignorance a été l’un des moyens utilisés par les classes privilégiées pour conserver leur domination sur les classes laborieuses. En France c’est avec la grande Révolution de 1789 que les premiers jalons furent plantés en vue d’instruire et d’émanciper le peuple.
Parmi les projets présentés à l’Assemblée législative, le plus élaboré était celui de Condorcet dont Jules Ferry s’inspirera 80 ans plus tard. La Restauration monarchique n’était guère favorable à l’émancipation du peuple. C’est le gouvernement de François Guizot sous la Monarchie de juillet qui amorça le changement. En 1833 il fit voter une loi qui organisait l’enseignement primaire ; chaque commune devait entretenir une école, et chaque département une école normale où seraient formés les instituteurs.
Un pas supplémentaire fut franchi dans les années 1863 – 1869 avec Victor Duruy, qui organisa l’enseignement secondaire, créa de nombreuses écoles primaires, institua la gratuité de l’enseignement primaire pour les indigents etc
Les projets de Duruy furent repris et complétés par Jules Ferry, qui obtint tout d’abord la gratuité en 1881, puis l’obligation et la laïcité en 1882. Des associations avaient poussé à l’adoption de la gratuité : celle de l’écrivain Jean Macé ; celle du philosophe et homme politique Jules Simon qui y avait contribué dès le IIe Empire. Il déclarait que « sur 100 jeunes Français, on en comptait 27 qui ne savaient pas lire, tandis que sur 100 Prussiens appelés sous les drapeaux, il n’y en avait que 3 d’illettrés... La France est à refaire par l’éducation »
Les tenants de l’instruction publique y voyaient la promesse d’un avenir meilleur, tandis que les opposants (A.Thiers en particulier) prétendaient qu’instruire celui qui ne possède rien, « c’est mettre le feu sous une marmite vide ».
A cette époque, beaucoup d’enfants aidaient à la moisson. Afin de ne pas priver l’agriculture de cette main d’œuvre, il était accordé de grandes vacances pendant l’été.
L’obligation scolaire s’étendait jusqu’à l’âge de 14 ans.

L'école publique de Valmondois

  • Aperçu historique

Sur les origines de l’enseignement à Valmondois, il faut laisser la parole - ou plutôt la plume – à Camille Rouland qui, dans sa monographie publiée en 1899, communique le résultat de ses recherches :

«  Depuis longtemps déjà, la commune de Valmondois possède sans interruption une personne se chargeant de donner l’instruction aux enfants.
Chaque étape de l’enseignement primaire en France a immédiatement sa répercussion ici et les progrès résultant de l’application des lois favorables au développement intellectuel du peuple se manifestent aussitôt.
Jusqu’en 1789 le Maître d’école est un artisan quelconque, tisserand, charron, etc qui reçoit chez lui sans aucune autorisation préalable quelques enfants auxquels il consacre une petite partie de sa journée pour leur apprendre un peu à lire, à compter, quelquefois à écrire. L’addition et la soustraction sont abordées par quelques-uns, mais jamais le maître ne va au-delà, son instruction propre ne lui permettant pas de sortir de cette limite.
Le local affecté est l’atelier même de l’artisan.
Après la Révolution, le besoin d’instruction se fait de plus en plus sentir et le nombre des élèves augmente considérablement.
En 1809 le conseil municipal exprime le désir d’avoir un instituteur pour donner aux enfants les éléments de la lecture, de l’écriture et de l’arithmétique, ainsi que le bon exemple de la morale et des sentiments religieux »

En 1812, un ancien presbytère devint la propriété de la commune. C’était une très modeste habitation. Le pavillon isolé de cette maison principale servit longtemps d’école et de mairie : jusqu’en 1842, date à laquelle on construisit un nouveau bâtiment qui servait à la fois d’école et de mairie. La mairie occupait le 1er étage, tandis que l’école était installée au rez-de- chaussée.
Cette situation dura jusqu’en 1907. C’est de cette année-là, en effet, que date l’actuelle mairie. Au bâtiment administratif s’ajoutèrent deux salles de classe, distinctes de la mairie. Cet ensemble entourait deux cours destinées aux élèves et séparées par un mur de briques qui laissait une communication au pied du perron. Chaque cour possédait son préau.
L’une des classes était accessible par la Place de la mairie (devenue depuis la Place Daumier) ; l’autre donnait sur l’impasse.
 

  • Ameublement des classes

Les pupitres comportaient deux places. Ils étaient placés les uns derrière les autres en rangées séparées par des allées qui permettaient à chaque écolier d’accéder directement à sa place.
Comme on écrivait alors avec une plume trempée dans l’encre, chaque pupitre avait deux trous circulaires situés à la main droite de l’écolier. Dans ce trou était logé un petit encrier de faïence dans lequel on versait périodiquement de l’encre.
Le bureau de l’instituteur occupait une place dominante. Son bureau et sa chaise étaient placés sur une estrade à deux marches. De là, l’enseignant disposait d’une position supérieure qui lui assurait une meilleure surveillance de la classe. C’est aussi par l’estrade qu’on accédait au tableau noir fixé au mur.
Le mobilier comprenait notamment une armoire-bibliothèque, des cartes géographiques murales (de Vidal-Lablache) et d’autres petits meubles et objets que j’ai oubliés.
Le chauffage était assuré par un poêle à charbon que l’on remplissait à l’aide d’un seau tronconique avec une ouverture en biais facilitant l’entrée du charbon dans la gueule du poêle. Le charbon était entreposé dans un local ad hoc situé non loin du préau des garçons.
 

  • Fonctionnement de l’école

Les cours du matin commençaient à 8h et se terminaient à 11h avec une récréation vers 10h. L’école reprenait à 13h ; nous étions libres à 16h après une récréation dans l’intervalle. Il existait une étude surveillée à partir de 16h30 après que nous eusions avalé notre « quatre heures ».
L’école avait lieu les lundis, mardis, mercredis, vendredis et samedis. Le législateur avait ainsi ménagé deux jours de repos par semaine : le jeudi et le dimanche, ce qui laissait aux parents qui le souhaitaient toute liberté de faire donner une instruction religieuse à leurs enfants. Le système était assez souple et la tolérance des instituteurs assez grande pour régler les cas non prévus par la loi. C’est ainsi qu’en ce qui me concerne mes parents m’envoyaient au catéchisme du jeudi. De plus, étant enfant de chœur, il m’arrivait de servir une petite messe le matin. Cela me faisait arriver en retard à l’école. J’entrais dans la classe, timide et rougissant, m’approchais du bureau de M.Hoffmann et lui disais la cause de mon retard. Il me faisait signe de regagner ma place. Il me semble maintenant, 75 ans après, qu’il y avait là une sorte de Concordat tacite et souriant.
Particularité propre aux petites communes (Valmondois comptait alors 700 habitants), le nombre d’écoliers ne permettait pas de spécialiser les locaux en fonction des sexes et des niveaux scolaires. Aussi, non seulement les classes étaient mixtes, mais elles comprenaient chacune deux niveaux qu’on appelait des divisions. L’instituteur devait les faire travailler simultanément sur des matières différentes.
Comme tous les instituteurs de campagne à cette époque-là, M.Hoffmann était chargé du secrétariat de mairie. A ce titre, il arrivait qu’il soit dérangé pendant ses cours. Il installait alors un élève à son bureau avec mission de veiller à la discipline et d’inscrire au tableau noir le nom des chahuteurs qui abusaient de son absence : honneur redoutable qui pouvait « se payer à la récré » en cas de zèle excessif tandis qu’une indulgence anormale pouvait éveiller les soupçons de M.Hoffmann. Je ne sais plus comment je me tirais de ce cruel dilemme quand c’est à moi que ce rôle était imposé.
Les écoliers étaient placés en fonction de leur rang de classement : les premiers étaient assis devant.
Nous portions presque tous une blouse souvent noire ou un sarrau, sorte de blouse qui se boutonnait derrière. Les enseignants eux-mêmes portaient une blouse.
On accédait à la petite classe par l’impasse. Mme Hoffmann se tenait debout sous le préau près de la porte ouverte. Nous la saluions au passage d’un « M’dame ! ». En passant près d’elle, nous lui tendions nos mains à plat, une face puis l’autre. Elle s’assurait de leur propreté. Nous entrions ensuite dans le couloir, dont le mur était garni de petites patères auxquelles nous accrochions nos vêtements. Nous gagnions nos places en silence après être restés un instant debout, dans l’attente de l’autorisation de nous asseoir.
 

  • L’enseignement. Matières enseignées dans les années 30.

Le Français :
Posséder une langue c’est d’abord la parler, ce qui commence dans la famille, mais c’est aussi la lire et l’écrire , ce qui est presque toujours l’affaire de l’école.
Dans les années 1930, l’apprentissage de la lecture se faisait à l’aide de la méthode dite syllabique. L’apprentissage de l’écriture se faisait simultanément.
L’orthographe nous était assénée à coups de dictées, complétées par des explications de sens, et des analyses (logique et grammaticale). La grammaire nous faisait connaître les diverses catégories de mots, leur fonction dans la phrase, leurs variations orthographiques. Il existait des formules mnémotechniques pour fixer certaines catégories de mots dans la mémoire « mais ou et donc or ni car ». L’instituteur était intraitable sur la concordance des temps, l’accord du participe passé, la syntaxe. etc. Quand on sortait de ses mains on connaissait l’orthographe, qui était l’un des piliers du Certificat d’études primaires. Il ne restait plus qu’à compléter par la rencontre avec des mots plus rares ou plus recherchés. Ces mots-là c’est par la lecture des grands auteurs que nous les découvrions.
La coexistence dans une même classe de plusieurs niveaux donnait la possibilité de faire lire un « grand » à haute voix. C’est ainsi que nous connûmes « Jacques le Poucet et Klappe la cigogne », inspiré de « Le merveilleux voyage de Niels Holgerson à travers la Suède » du grand écrivain suédois Selma Lagerlof.
Les bases une fois acquises, le perfectionnement de la lecture était facilité par notre petite bibliothèque où l’on trouvait des livres accessibles aux enfants. Je me souviens de quelques titres « François le Champi », « Les malheurs de Sophie » et d’autres romans de la Comtesse de Ségur, ou encore « Les vacances des jeunes Boers » de Conan Doyle, « Contes et légendes du moyen âge français », de Georges et Marcelle Huisman, « Le dernier des Mohicans » de Fénimore Cooper.
La récitation imposait d’apprendre des textes en vers « amis de la mémoire », qui, tout en exerçant notre mémoire, nous initiaient à la connaissance de quelques grands auteurs, tels que La Fontaine et Hugo. Nous apprenions « Après la bataille », de Hugo et surtout des fables de La Fontaine comme « La mort et le bûcheron », « Le loup et l’agneau », « Le loup et la cigogne », « Le renard et la cigogne », « Le héron » et l’inévitable « Le corbeau et le Renard ». La morale de ces fables n’était pas toujours à notre portée. Celle du corbeau et du renard n’était pas un exemple à suivre. Plus tard, quand je lus « l’Emile », je dus donner raison à la critique qu’en fait J.J Rousseau.
Le contrôle de la connaissance de la langue s’effectuait aussi par la rédaction, qui oblige à ordonner les idées, qui sert à vérifier la connaissance de la syntaxe et qui introduit dans l’expression une certaine variété, une certaine élégance, une certaine recherche.
Quant à l’écriture, elle mettait en œuvre la redoutable plume « sergent-major », une plume dure, à deux becs qui s’écartaient sous la pression de l’index, ce qui avait pour effet de faire descendre l’encre jusqu’au papier. Mais les deux becs se refermaient quelquefois sur une bribe de papier qu’ils tenaient prisonnière, ce qui laissait des traces d’encre sur le cahier.
Il me souvient que, vers 1932-1933 M.Hoffmann évoquait la possible élection à l’Académie française d’un habitant de Valmondois : Georges Duhamel. On croisait parfois dans les rues de Valmondois, un homme allant à pied, la tête toujours baissée. Ce qui frappait chez lui, c’était un gros crâne hémisphérique et chauve. Il portait des lunettes. Quand il interrompait sa méditation, il levait les yeux sur nous. On rencontrait un regard intense où planait un léger sourire. Sa bouche était petite, son visage plein de finesse. Sur son passage, nous les enfants, nous entendions les adultes dire avec mystère : « C’est Georges Duhamel ». Cela nous remplissait d’un respect quasi religieux. Quand M et Mme Hoffmann quittèrent Valmondois, une petite cérémonie d’adieux fut organisée en présence des écoliers. Georges Duhamel était là. Il prononça une allocution et offrit à nos instituteurs un petit tableau, une aquarelle représentant les Friches, je crois. Nous avions côtoyé un futur académicien qui, alors, rédigeait « Les jumeaux de Vallangoujard »

La morale :
En mettant la morale au programme de l’école, la République avait voulu démontrer que l’enseignement laïque ne conduirait pas à l’immoralité comme ses détracteurs avaient tenté de l’accréditer.
Cet enseignement n’allait pas au-delà de la transcription, sur notre cahier, immédiatement sous la date, d’une maxime écrite sur le tableau noir, comme « L’oisiveté est la mère de tous les vices », « L’alcool est le grand pourvoyeur des hôpitaux et des prisons », « Il faut être bien cruel pour faire pleurer sa mère », « Mauvais fils, mauvais père ». Un bref commentaire l’accompagnait.
Cette morale se télescopait quelquefois avec la morale des fables de La Fontaine.

L’instruction civique :
L’instruction civique nous initiait au fonctionnement de l’Etat, aux droits et aux devoirs du citoyen. Vivre en république est un privilège que les générations précédentes ont durement conquis. Aussi doit-on jouer son rôle de citoyen et voter. Les électeurs sont représentés dans des Assemblées d’où est issu le gouvernement, lequel applique ainsi la volonté populaire. On nous enseignait de cette manière la différence entre le sujet (ancien régime) et le citoyen (régime démocratique). A la fin de chaque leçon, M.Hoffmann demandait si nous avions des questions à lui poser. Je lui demandai un jour si les indigènes de nos colonies (la France avait alors des colonies) avaient le droit de vote. Je reçus la réponse appropriée, mais l’année suivante, faute d’une autre question, je reposai la même dont j’avais été fier. M.Hoffmann ne l’avait sans doute pas oublié mais il me répondit comme si la question était nouvelle.

L’Histoire de France :
L’Histoire de France était comme la suite et l’accompagnement obligés de l’instruction civique. Nous apprenions l’évolution de notre pays à travers les âges. Cette évolution connaissait de nombreux avatars. Elle expliquait aussi la formation de la France par agrandissements successifs parfois avec des amputations consécutives aux défaites. La France avait au cours des siècles atteint ses frontières naturelles. Celles-ci étaient souvent remises en question par les guerres et leur cortège de misères, conséquences de l’ambition des souverains.
On nous montrait également, avec les trois Etats (Noblesse, Clergé, Tiers état), les graves inégalités que la République avait abolies. La date du 4 Août 1789 était très importante.
Mais que c’était donc beau l’histoire ainsi présentée ! Je me souviens de ma première lecture, avec l’aide de ma mère, de l’épopée de Jeanne d’Arc, de mes larmes en apprenant son supplice à Rouen, de ma haine des Anglais et de l’évêque Cauchon. Le despotisme de Napoléon ne me détournait pas de ses victoires. Je refaisais sans cesse la bataille de Waterloo en le faisant gagner : le général Grouchy arrivait opportunément, comme Desaix à Marengo. Une haine de l’Allemagne est née en moi avec les guerres de 1870 et1914, haine mêlée de crainte, qu’entretenaient les conversations à table, où les repas ne se terminaient jamais sans un énergique « Encore un que les Boches n’auront pas ! ».
L’Histoire de France était farcie de dates qu’il fallait retenir par cœur : 800, 987, 1214, 1515 Heureusement il y avait quelque formules mnémotechniques telles que W.PANRUR , celle-ci permettant de citer dans l’ordre les traités de paix du règne de Louis XIV. Ces dates jugées inutiles aujourd’hui préparaient l’avenir et nous donnaient les moyens de situer les événements les uns par rapport aux autres.
Bien entendu, on insistait beaucoup sur le caractère civilisateur de la politique coloniale de la France.

Géographie :
En dehors de quelques généralités sur le globe terrestre, les continents et les océans, sur l’explication des marées etc, l’enseignement de la géographie était axé sur la France et ses colonies : frontières, côtes et ports, fleuves (avec les sources et l’altitude de celles-ci) affluents, débits, villes traversées, canaux, plaines et montagnes, divisions administratives avec les préfectures et les sous-préfectures, lignes de chemins de fer etc.
De grandes cartes murales muettes, c'est-à-dire sans aucune indication écrite aidaient à la connaissance de notre pays. Je me souviens d’anciennes cartes où la France était amputée de l’Alsace Loraine et où Sète était orthographié Cette.

L’arithmétique :
A cette époque là, on n’avait pas encore eu l’idée d’appeler mathématiques les quatre opérations, la règle de trois, le calcul portant sur les fractions, les nombres complexes, le système métrique, le calcul des surfaces et des volumes. Cela s’appelait tout bonnement l’arithmétique. Des exercices permettaient de vérifier que ces notions étaient assimilées. Il s’y ajoutait des problèmes parfois difficiles à base de trains qui se croisent, de voitures qui se rattrapent, de baignoires qui, d’un côté, s’emplissent et, de l’autre, se vident. Ces données insolites ou invraisemblables prêtent maintenant à sourire. Les beaux esprits tournent en dérision ces problèmes, faute de savoir les résoudre.
On nous faisait aussi faire du calcul mental. Chacun avait à cet effet une ardoise sur laquelle il écrivait les résultats et qu’il brandissait aussitôt pour être le premier à avoir trouvé.

Sciences :
En primaire, les sciences (c'est-à-dire la physique et les sciences naturelles) consistaient en leçons de choses reposant sur l’observation de la nature. On nous montrait ainsi l’existence de l’air et de la pression qu’il exerce. Il y avait aussi les vases communicants qui expliquent l’arrivée de l’eau au robinet parce que le château d’eau se trouve dans un endroit plus élevé.
On nous apprenait que les métaux se dilatent sous l’effet de la chaleur. On en citait les conséquences sur les rails : si un espace n’avait pas été prévu entre deux rails successifs pour permettre la dilatation, ils se seraient déformés, et il en serait résulté un déraillement. Le jour où un photographe venait à l’école, avec son gros appareil à plaque de verre, on nous montrait que l’image se forme à l’envers sur ladite plaque, et on nous initiait à la marche des rayons lumineux. La loupe, en concentrant les rayons du soleil en un point, peut enflammer un papier sec tel qu’un morceau de buvard.
Nous avions peu de matériel : une balance de Roberval avec sa boîte de poids en laiton , des vases communicants, une chaîne d’arpenteur. Il me semble que des planches nous montraient aussi des animaux et des plantes exotiques.
En sciences naturelles, les observations étaient faites dans la nature même. Valmondois était bien pourvu à cet égard : les bois tout proches fournissaient matière à des observations abondantes sur la végétation. Une expérience amusante consistait à placer un haricot entre deux morceaux d’ouate bien humectée. On voyait en quelques jours se former une minuscule tige, deux petites feuilles et une radicelle sortant du haricot, lequel s’était ouvert en deux.
La présence d’une rivière dans le village offrait la possibilité d’observer les phases successives de la métamorphose des grenouilles : têtards munis d’une queue, puis sans queue et enfin l’animal adulte.
Nous avions même la chance de disposer d’une ravine dans laquelle se trouvaient des coquillages fossiles que nous rapportions à l’école.
Pour le certificat d’études, nous recevions des notions plus complètes : les trois états de la matière (gazeux, liquide et solide) ; les propriétés des aimants : une petite expérience consistait à saupoudrer de la limaille de fer sur une feuille de carton placée au dessus d’un aimant. On voyait alors les grains de limaille s’ordonner sur le carton. C’étaient les lignes de force du champ magnétique.

Dessins et travaux pratiques :
On nous faisait dessiner et colorier. Les dessins les plus réussis étaient affichés. Un portrait m’est resté dans la mémoire : celui d’un élève de Butry (qui n’était pas encore une commune et dont les enfants plus proches de Valmondois que d’Auvers fréquentaient notre école). Il avait été réalisé par Jean-Pierre Geoffroy-Dechaume , qui devait devenir artiste peintre et bon portraitiste. Ce portrait représentait le fils d’un marchand de poisson qui s’appelait Varlet.
On fournissait aussi aux garçons de la pâte à modeler que nous pétrissions pour la rendre bien molle et lui donner ensuite la forme d’objets ou d’animaux.
Quant aux filles, on leur enseignait la couture, le point de croix sur des canevas etc

Le chant :
Dans la petite classe, je me souviens d’avoir appris deux chansonnettes :

  • de l’une, seules quelques paroles et quelques notes me sont restées dans la mémoire : « l’obélisque en bisque en bisque » et nous portions à notre nez nos deux petites mains fermées , comme pour le prolonger ;
  • de l’autre, j’ai encore la mélodie en tête ; les paroles se sont envolées. Il y était question d’un âne : « mon âne, l’an de la rirette »

Récompenses et punitions :
Dans la petite classe des images récompensaient la bonne tenue et le bon travail. Il m’en reste quelques exemplaires.
Je ne me souviens pas qu’il y eût des récompenses dans la grande classe en dehors des dessins particulièrement réussis, qui recevaient l’honneur de l’affichage.
Une fois par an, on nous offrait un voyage en autocar au bord de la Manche : au Tréport, à Cayeux, à Dieppe etc. Pour certains d’entre nous c’était une découverte.
Les punitions consistaient à nous priver de récréation par le biais du piquet. Nous étions condamnés à nous tenir debout, immobiles, tournés vers le mur en briques pendant que les autres jouaient.
Je ne me souviens pas qu’on nous ait donné des lignes à copier.
Il y avait aussi les retenues après l’heure de la sortie.
Je n’ai jamais vu utiliser le trop fameux bonnet d’âne.
Dans les cas graves, les parents étaient convoqués.
Quant aux châtiments corporels, je n’y ai assisté qu’une fois. Un élève ayant répondu à l’instituteur par le mot de Cambronne, il reçut une gifle méritée dont il ne se plaignit pas à ses parents.

Les jeux :
Il y avait – et comment s’en étonner – peu de jeux communs aux filles et aux garçons, en dehors du « chat perché ». Le chat était désigné par une comptine « am, stram, gram, pic et pic et collé gram », qui comptait 20 syllabes dont la dernière s’arrêtait au chat. Bien sûr, comme le nombre de syllabes et la composition du groupe étaient connus, il y avait « de la triche » : on pouvait calculer sur qui allait tomber la 20ème syllabe.
Les filles jouaient avec une ou deux balles, avec lesquelles elles jonglaient ou qu’elles envoyaient rebondir contre un mur en psalmodiant : « d’une main, de l’autre » ou « petit rouleau, grand rouleau ».
La corde à sauter était très utilisée ou bien isolément ou bien à plusieurs dont deux tenaient les extrémités de la corde qu’elles faisaient tourner.
La marelle connaissait aussi une grande vogue.
Et puis nos copines jouaient à la ronde, c'est-à-dire qu’elles dansaient en cercle en se tenant par la main.
Chez les garçons, il y avait, outre le chat perché, les gendarmes et les voleurs. Comme jeu de groupe il y avait les barres où deux camps s’affrontaient et tentaient de faire des prisonniers.
A cette époque-là, l’avion était encore une nouveauté et un objet de curiosité qui faisait lever les yeux lorsqu’on entendait un vrombissement. Les garçons se voyaient déjà aviateurs. Les bras largement étendus à l’horizontale, ils parcouraient à toute allure la cour de l’école en imitant le bruit des moteurs. Il en résultait une concurrence à la cavalerie, qui gardait quand même une certaine faveur, car les chevaux, nombreux aussi bien dans les rues que dans la plaine, inspiraient beaucoup de nos jeux.
Le gros poteau de soutènement du préau (encore visible) servait de poteau de torture quand nous jouions aux cow-boys et aux Indiens : le prisonnier y était attaché à l’aide de cache-nez.
Certains jeux exigeaient des accessoires : les osselets et surtout les billes. A cet effet nous disposions d’un sachet en tissu fermé par un lacet. Nous y mettions nos billes ; il y en avait de très ordinaires en terre et d’autres en verre, les agates, qui avaient de belles couleurs et enfin les grosses billes : les calots.

Activités extra-scolaires :
Chaque année, on nous remettait un lot de timbres anti-tuberculose à vendre. La recette servait à lutter contre cette maladie encore très répandue alors.

Sentiments envers les instituteurs :
Tous les ans à la St Georges, petits et grands arrivaient de bonne heure dans la « petite classe ». Des fleurs dessinées à la craie de couleur, des « Vive Sainte Georgette ! »  calligraphiés ornaient le tableau noir. Puis apparaissait Mme Hoffmann, tout étonnée. Je crois maintenant que cette agitation matinale ne pouvait avoir lieu qu’avec sa complicité tacite. Mais son bonheur n’était pas feint. Elle distribuait de menus cadeaux et embrassait tout le monde. Puis elle nous emmenait pour une grande promenade dans les bois, au dessus de la « Carrière à Monel » et du « Trou du diable ».
Nos sentiments à l’égard de M.Hoffman étaient – rien d’étonnant – d’une autre nature. Sa stature nous en imposait et cela suffisait Le respect est déjà un sentiment.

Le Certificat d’études primaires :
L’année scolaire de « la grande classe » s’achevait par le Certificat d’Etudes Primaires, première épreuve redoutée dans la vie des enfants de 12 ans, première joie en cas de succès, première déception en cas d’échec. C’était un moment important pour l’instituteur aussi, qui voyait jugée et couronnée ce jour là l’efficacité de son enseignement.
Pour nous Valmondoisiens, l’examen avait lieu à l’Isle- Adam.
A mon tour en 1934, j’affrontais pour la1ère fois les affres de la feuille blanche à l’écrit, puis les affres de l’interrogation à l’oral puis enfin les affres de l’attente du résultat.
Ayant réussi, je quittais l’école de Valmondois et mes souvenirs sur cette première scolarité s’arrêtent là.