Patricia, restauratrice d'art

Pour vivre heureux, vivons cachés 

En effet, cette expression s’applique tout particulièrement aux nombreux résidents de Valmondois installés dans de belles maisons nichées au fond de grands jardins, entourés de murs en pierre et de végétation.  Néanmoins, la vie sociale et culturelle est dense au village grâce aux vernissages et concerts suivis d’un vin d’honneur où les habitants se croisent et les nouveaux arrivants font  connaissance avec les anciens.  
Chaque prétexte est bon pour  un moment de convivialité qui se prolonge autour d’une bonne table bien garnie au rythme des échanges, des rires et des anecdotes.  «  La bonne table »  c’est tellement français. Les mets traditionnels ou les plats raffinés forment un excellent départ pour le brassage d’idées  ou les discussions sur l’Art avec un grand A ou sur l’art des jardins, chers aux personnes qui ont choisi ce petit village.   
Depuis des siècles, Valmondois ( vallis munda, vallée élégante  ou jolie) attire des artistes et les personnalités qui ont impulsé une vie culturelle riche et intéressante.  
Depuis  que la terre tourne et l’homme se déplace d’Est en Ouest, du Nord au Sud, en cherchant la douceur de vivre et de créer, Valmondois a bénéficié de ce mouvement avec l’arrivée d’une population cosmopolite qui a déposé ses valises dans notre village. Anglais, Belges, Bretons, Gascons, Italiens,  Marocains, Martiniquais, Picards, Polonais, Sénégalais, Suédois ou Yougoslaves se sont assimilés aux vielles familles  locales ancrées ici depuis des générations. 

Au fil des années, tout en restant à Valmondois, j’ai fait un saut de haute  voltige gustative passant d’une table à l’autre, polonaise,  française, italienne et anglaise. C’est au détour de l’un de ces voyages que j’ai rencontré Patricia à sa table belge dans son Moulin. Dans cet endroit confidentiel et à l’abri des regards,  j’ai découvert la vie communautaire de trois amis et associés dont le terrain de jeux de prédilection était « la chasse aux trésors d’oeuvres d’art ». Ils sillonnent la France, l’Europe et parfois bien au delà pour dénicher tableaux, statues et beaux objets pour les rendre accessibles  à ceux qui veulent s’en entourer.  
Patricia, restauratrice d’art, diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts de Gand ( Belgique ) passionnée par les portraits, sait deviner leurs beautés sous les couches épaisses de saleté déposées par le temps et les aléas de leurs périples. Dès qu’un portrait mis en vente attire son attention, Patricia , grâce à son expérience, son goût, son assurance certaine et ses connaissances d’art poursuit les recherches pour découvrir l’époque, l’école et finalement  l’auteur de l’œuvre.  Grâce à ses compétences de restauratrice, Patricia sait retrouver les couleurs, les traits, la beauté des tableaux pour leur redonner la vie et le prestige qu’ils méritent. Dans son moulin de Valmondois, les murs du salon – atelier sont recouverts de portraits, des visages bienveillants et doux qui vous accueillent et vous rassurent. Ce sont les regards du passé, les yeux qui ont vu d’autres époques et d’autres vies. En prenant le thé chez Patricia vous avez la sensation de découvrir un monde autre, en dehors du temps.  

Pour mieux en parler, Patricia se prête au jeu des questions : 

Comment est née ta passion pour l’art?

Le contexte familial a beaucoup joué. Les crayons, modèles et dessins remplissaient notre univers. Ma mère était modiste, les reines Fabiola et Paola portaient ses chapeaux. Mon grand oncle était peintre, ma sœur Maen Florin est devenue une sculptrice
reconnue. Moi, je me suis dirigée vers la conservation et la restauration d’œuvres. C’est à la maison que j’ai développé mon goût pour l’art.  

Tu es surtout passionnée par  le portrait ? Qu’est-ce qui te subjugue dans le visage ?

Les portraits me parlent, les expressions m’interpellent et souvent me touchent.  Je suis particulièrement sensible aux portraits de caractères. Je les collectionne aussi quelques soient leur époque mais avec une petite préférence pour las anciens flamands. Ma maison est remplie de cette agréable compagnie. 

Quels sont les moyens, aujourd’hui de trouver et d’acquérir les œuvres : 

La meilleure  source pour trouver  des oeuvres était et reste toujours la célèbre salle de vente Drouot à Paris mais les salles de ventes de province tirent de mieux en mieux leur jeu depuis quelques années grâce à Internet qui s’est imposé dans ce domaine. Il y a des sites dédiés aux enchères en ligne en « live ». C’est une ouverture mondiale extraordinaire mais qui a beaucoup fait augmenter la concurrence dans la vente d’œuvres d’art. 

Quel est le déclic pour l’acquisition d’un tableau ? 

En navigant sur les sites, je vois beaucoup de propositions de tableaux, de qualités diverses. Pour que je réagisse, ils doivent avoir du caractère, doivent me choquer,  m’attirer, je doit être saisie par leur beauté, leur regard.  Mon cœur bat alors la chamade. Je commence à faire des recherches sur l’œuvre à partir des modestes informations qui accompagnent le tableau en vente. Si je vois que je suis sur une piste intéressante et si mes finances le permettent, je rentre dans la  course.  Ce sont des moments intenses, forts en émotions. Je suis excitée, inquiète, l’envie de l’acheter est grande et la peur de ne pas être la première me gagne. Heureusement, je sais m’arrêter quand les prix s’emballent ( rire). Mais si je remporte les enchères et acquiers le tableau, alors commence une délicieuse période de connaissance avec « mon nouveau visage ». 

Quels sont les  risques majeurs dans la restauration d’un tableau, surtout d’un visage ?  

La difficulté majeure  est le respect des traits uniques du maître, de sa maîtrise, de son coup de pinceau.  Il faut donc une approche délicate car tout geste maladroit peut l’abîmer. Un nettoyage trop profond peut être irréversible et effacer un trait unique que jamais on  ne pourra restituer et ainsi perdre la vérité originelle du visage. 

Comment retracer l’origine de l’oeuvre? 

En commençant la restauration, j’étudie le support sur lequel il est peint : le panneau de bois ou la toile. Je scrute tous les indices susceptibles de m’apporter une information, manière de peindre, couches de peinture, pigments même les craquelures parlent. Ainsi, je peux déjà déterminer l’époque, l’école.  Sur internet, dans les bibliothèques ou dans les livres d’arts (catalogues  d’expositions, monographies de peintres), je recherche des correspondances, je sélectionne des peintres et si j’ai beaucoup de chance, je peux retrouver des similitudes qui me permettent d’attribuer l’oeuvre à tel ou tel peintre et c’est « bingo ». Pour confirmer mes trouvailles, il m’arrive de  consulter des spécialistes et des experts. C’est un jeu de piste et de patience. Si je réussis, je ressens toujours une grande satisfaction d’avoir ressorti un tableau de l’oubli. Parfois, j’ai le sentiment d’avoir sauver  une œuvre en la restaurant.   

Quel est ton état d’âme lors de la restauration d’un visage venu du passé ? 
C’est un processus long, il y a –t-il des phases ? 

Cela dépend du tableau. Parfois, je ressens une urgence pour  avancer le travail de restauration et parfois je prends mon temps. Obligatoirement, il y a des phases dans la restauration, étude du support et de la texture, nettoyage, remplissage des lacunes, retouches puis vernis, qui doivent être respectées. En travaillant à la gouache, j’ai la possibilité d’effacer et de recommencer la peinture, de trouver la justesse des traits.   
Cela exige une grande concentration. C‘est un travail solitaire, j’ai besoin de calme, accompagnée par la musique. Je dois avoir l’esprit serein, même zen. 

Aujourd’hui encore, peut-on  trouver une oeuvre d’un peintre majeur dans une salle de vente ? 

C’est une question de chance. Nous sommes très nombreux à chercher, et maintenant avec internet, qui reste un excellent  outil de travail, la compétition est devenue mondiale et ultra-compétitive. Il est proposé régulièrement en salle de vente des œuvres intéressantes à des prix de départ attractifs mais il reste très exceptionnel d’acquérir une œuvre importante à un prix raisonnable. C’est une chasse au trésor bien gardée. 

Et pour terminer, pourquoi as- tu choisi de vivre et d’exercer ton métier-passion à Valmondois ? 

Les circonstances de la vie. Il y a 20 ans, j’ai croisé la route d’un passionné d’art comme moi dans une salle de vente en Belgique, qui possédait un moulin à Valmondois. Nous nous y sommes installés et l’avons restauré. Ce lieu a donné un sens à la maxime  “pour vivre heureux, vivons cachés”. Ici, je me sens chez moi, avec une totale liberté qui laisse libre cours à mon inspiration.