Discours de Bruno Huisman Vœux 2019
Chers amis,
Je pourrais comme chaque année vous proposer un discours des vœux ; j’y introduirais comme chaque année une petite teinte philosophique. Mais cette année, mon inquiétude personnelle est trop grande pour que je ramène mon intervention à cela. Voilà pourquoi je voudrais à travers la figure et l’œuvre de mon grand-père, Georges Huisman, lui-même maire de Valmondois de 1932 à 1940, témoigner à la fois de mes craintes et de mes espoirs.
Chers amis,
Je pourrais comme chaque année vous proposer un discours des vœux ; j’y introduirais comme chaque année une petite teinte philosophique. Mais cette année, mon inquiétude personnelle est trop grande pour que je ramène mon intervention à cela. Voilà pourquoi je voudrais à travers la figure et l’œuvre de mon grand-père, Georges Huisman, lui-même maire de Valmondois de 1932 à 1940, témoigner à la fois de mes craintes et de mes espoirs.
Je crois que tout homme, à travers son existence, fait élection d’une figure tutélaire, un être idéal, réel ou fantasmé, avec lequel il dialogue sans cesse et à qui il demande ce qu’il convient de faire quand lui-même ne le sait pas : mon grand-père est cet être-là pour moi et je suis heureux de lui rendre hommage aujourd’hui.
Mais d’abord, pour témoigner de mes craintes, commencer par la poésie, celle du grand poète grec, Constantin Cavafy, traduit par Marguerite Yourcenar :
"Qu’attendons-nous, rassemblés sur l’agora?
On dit que les Barbares seront là aujourd’hui.
(…)
Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus
et certains qui arrivent des frontières
disent qu’il n’y a plus de Barbares.
Mais alors, qu’allons-nous devenir sans les Barbares?
Ces gens étaient en somme une solution."
Ma crainte est là : Le populisme, dans ses multiples facettes, est à nos portes : il a conquis le pouvoir, grâce aux élections, en Italie, aux USA, au Brésil, en Hongrie ou aux Philippines. A coup de « Yaka », de « faut qu’on » ou de « Il suffit de », en dénonçant l’étranger et le migrant qui auraient plus de droits et d’avantages que l’autochtone, la démagogie populiste corrompt les esprits comme l’acide corrompt le métal. Le populisme est à nos portes en France : il constitue le danger principal de notre démocratie française. Il n’est pas le seul danger : l’inégalité et les injustices sociales constituent le deuxième danger. Nous ne pouvons faire reculer ces deux dangers qu’en agissant ensemble.
Dans ce combat contre le populisme, l’histoire nous éclaire.
Cette montée du populisme n’est pas récente. Elle s’amorce au début des années 1980 et ne cesse de croître depuis. Elle se fait notamment en profitant de la disparition de ceux qui ont connu et vécu l’histoire du XX ième siècle. Car le populisme croît sur l’ignorance et notamment sur la méconnaissance de l’histoire.
Je commencerai ce rappel historique par un événement récent, en apparence anodin, mais qui a, selon moi, une grande importance : le 20 novembre de cette année, une semaine après que nous ayons commémoré le centenaire du 11 novembre 1918, l’association des anciens combattants de Valmondois, ne comprenant plus que 4 membres, a décidé de se dissoudre. Cette association avait été présidée au début des années 1930 par mon grand-père Georges Huisman : elle comprenait alors un nombre important des hommes de Valmondois, de ceux qui étaient revenus et qui se souvenaient de la cinquantaine d’autres qui étaient morts pour la France. A travers le beau film « Au revoir là-haut » que nous avons projeté à Valmondois, le 11 novembre dernier, nous avons vu à quel point cette période était difficile et troublée. Les années 30 allaient accélérer ce processus : La crise économique de 1929 générait de grandes difficultés sociales ; l’immigration venue de l’Europe de l’est, de l’Italie ou de l’Espagne produisait des sentiments de rejet et d’exclusion. Le 6 février 1934, il fallu toute la force de la démocratie française pour repousser les émeutiers, conspuant les députés, les élites et les étrangers et voulant prendre d’assaut l’assemblée nationale. C’est cette même année 1934 que mon grand-père fut nommé Directeur général des Beaux-arts. Bientôt le Front populaire en 1936 le confirmerait dans ses fonctions. Ce front populaire à la tête duquel Léon Blum, celui qui le premier, en 1920 au congrès de Tours, avait vu dans la dérive bolchévique l’amorce du totalitarisme. Ce front populaire grâce à qui Jean Zay allait pouvoir introduire en France de grandes réformes dans la vie culturelle et dans l’éducation.
J’ai fierté à associer le nom de mon grand-père à ceux de Léon Blum, Jean Zay ou Mendès-France. Ensemble ils ont bâti une France dans laquelle je me retrouve.
Et c’est par là que nous parvenons au Festival de Cannes.
Jean Zay et Georges Huisman partageaient une passion pour le cinéma. Ils se distinguaient de Georges Duhamel, pourtant de Valmondois, mais qui jugeaient le cinéma "C'est un divertissement d'ilotes, un passe-temps d'illettrés …», Jean Zay et Georges Huisman y voyaient un art à part entière, symbole même des arts nouveaux qu’ils avaient mission de promouvoir. Hélas, au même moment, d’autres hommes politiques, aux valeurs diamétralement opposées, reconnurent dans le cinéma une immense puissance de propagande. Nazis allemands et fascistes italiens se mirent d’accord pour faire du festival de cinéma de Venise, la Mostra, un moyen détourné de promotion de leurs propres valeurs. Les Américains, les principaux producteurs au monde, mais démocrates convaincus, décidèrent de boycotter la Mostra de Venise. Ce fut l’opportunité que saisirent Jean Zay et Georges Huisman de créer à Cannes un nouveau festival mondial de cinéma, dont on sait aujourd’hui le succès qu’il va connaître et l’importance qu’il va conquérir pour le renom de la France.
La belle exposition , conçue et réalisée par le Comité Jean Zay d’Orléans que je remercie vivement à cette occasion, montre et explique toute l’histoire de cette première édition que le déclanchement de la guerre en septembre 39 va finalement empêcher. En novembre prochain un grand colloque à Orléans fera revivre cette édition 1939 du festival de Cannes.
Grâce à Charles Mathieu et à Noëlle Lenoir, Valmondois a rendu hommage à Georges Huisman en lui attribuant le nom d’une rue ; et le PNR du Vexin français en lui attribuant un panneau des Sentiers du Patrimoine.
Avec la création du Festival de Cannes, jean Zay et Georges Huisman ont grandi la France. Et il me semble essentiel, en ces temps difficiles, de rappeler l’importance de l’engagement de ces hommes en faveur de l’art et de la culture. Notre grand ami, Antoine Duhamel, valmondoisien illustre, avait lui aussi voué sa vie à cette cause en instituant un trait d’union entre la musique et le cinéma. Cette tradition culturelle et artistique, nous sommes fiers aujourd’hui de la poursuivre à Valmondois car loin de la considérer comme le pré carré des élites, nous sommes convaincus que la culture est le champ où s’opère le partage et l’échange et où la véritable union d’un peuple peut se sceller.
A Valmondois, dans l’esprit de Daumier, nous cultivons la figure de l’homme épris de liberté de penser, revendiquant sans cesse le droit à l’humour et à l’impertinence. Cet après-midi à la Villa Daumier, nous saluerons, à travers ses dessins, la mémoire d’Honoré, assassiné il y a 4 ans en janvier 2014 à Charlie Hebdo, aux côtés de Cabu, de Wolinski et de leurs camarades, tous morts pour la France, pour que vive ici et partout dans le monde ce droit à la caricature et à l’impertinence qui est synonyme depuis Voltaire de la France.
Je voudrais terminer ces quelques mots par un vœu ; non pas un vœu convenu mais un vœu profond et résolu : je forme le vœu que très vite la tranquillité nécessaire au dialogue entre nous revienne. J’ai la conviction que dans une véritable démocratie, le dialogue, c’est à dire la capacité offerte à des hommes d’opinions et de convictions différentes d’échanger leur point de vue de façon réfléchie et argumentée, le dialogue est une exigence. Sans dialogue, la violence est inévitable.
Dans quelques jours, l’offre sera faite, dans le cadre du grand débat national, de dialoguer. A Valmondois, les portes de la mairie seront grande ouvertes à l’occasion de plusieurs soirées pour débattre des thèmes proposés et je veillerai, c’est là le rôle d’un maire, à ce qu’ils se déroulent dans une atmosphère tranquille et aussi amicale que possible.
Je veux terminer par des notes d’espoir. Et je ne connais pas de meilleurs notes que celles de la musique elle-même, voilà pourquoi je vais céder ma place aux musiciens des orchestres du conservatoire de la CCSI, en terminant ces mots par la parole de mon maître et ami , Vladimir Jankélévitch :
« La musique est là, sur terre, elle existe à nos côtés, comme une amie, et la plénitude de son évidence donne le courage de vivre, d’écrire, de continuer. »
Bonne année à tous.
Bruno HUISMAN
Maire de Valmondois